
____Il a ouvert les yeux et dit : « Je t'attendais. »
____Moi, je n'avais rien à lui dire. Il était impossible et dérisoire d'expliquer, impossible et dérisoire de se____ ____justifier, de demander pardon. Une faute avait été commise, mais en conscience. Je l'assumais, à ma____ ____manière. Des mensonges avaient été entretenus. Je les regrettais, mais il était trop tard. Il restait la____ ____trahison. Les traîtres n'ont pas d'excuses à bredouiller.
____Paul m'a observé longtemps, de ses yeux tristes et très bleus. Il a observé mon inertie, mes mains____ ____amorphes, mon corps trop maigre. Avec son bras arraché, ses chairs mortes, sa face dévastée, il était____ ____tellement plus beau que moi. D'une dignité superbe. Il a feuilleté mentalement, j'en suis certain, notre____ ____livre d'images. Il l'a refermé, sans bruit.
____Je me suis reculé, je suis descendu du perron, j'ai tourné la tête vers le sol, j'ai marché dans la poussière.____ ____Je marche encore.
____Au matin du 6 juillet 1972, Paul s'est saisi d'une arme à feu. Un pistolet Smith & Wesson, calibre 38, qu'il____ ____avait acheté deux jours plus tôt chez un armurier de Baton Rouge.
____Il a glissé le pistolet dans sa bouche, refermé la mâchoire sur le canon et tiré.
____Il a tiré sur lui, sur sa vie, sur notre jeunesse.
____Et sur le temps qui me reste.
____Le malheur, c'est cela, un point c'est tout.
____On peut discuter longtemps ; à la fin, il n'y a que cette certitude : le malheur pur, et imbattable, c'est cela.
texte : Philippe Besson - La trahison de Thomas Spencer / photo : supermalade